Avant de continuer, il faut que je t'explique le système de caste qui existe au Népal. Pour être assez bref, les castes viennent de la religion hindou et déterminent en quelque sorte le groupe social d'une personne. Il existe des castes dites "hautes" et dites "basses" qui régentent la vie des Népalais. Les castes les plus hautes sont les Brahmans (seule caste à pouvoir faire des actes religieux) et les Chhetris. Ces deux castes représentent 90 % des politiciens du pays. L'une des caste les plus basse est les Chepang. Il y a tellement peu d'estime pour cette caste qu'ils ne peuvent pas porter un nom de famille propre. Ainsi tous les gens de cette caste portent le même nom de famille : Chepang. D'après la loi Népalaise, il est interdit de discriminer une personne en raison de sa caste, mais dans les faits ce n'est pas le cas puisque par exemple les castes hautes ne boivent pas une eau ou une nourriture touché par un Chepang. Donc comment un Chepang peut être commerçant par exemple, sachant que seules les castes basses pourront le faire travailler.
Je risque de ne pas te surprendre mais la majorité des enfants de l'école privés sont de castes dites "hautes" quant à l'école publique c'est totalement l'inverse avec presque exclusivement d'enfants de castes dites "basses”.
Après cette petite explication laisse moi t'emmener à l'école publique…
Shree Barahi Primary School
Après cette épisode des plus compliqués me voilà de nouveau sur pied et direction l'école publique où je vais faire le reste de mon intervention, l'école Shree Barahi Primary School. Rien que d'écrire le nom de cet école me donne des larmes aux yeux tellement cette expérience fut incroyable. L'école privée a été géniale mais alors là, ce n'était rien comparé à cette école située tout en haut de la montagne où je vivais mais ne nous enflammons pas je vais tout t'expliquer.
Commençons par mon arrivée dans l'école. Un moment unique car de part ma courte expérience dans l'école privée je pensais avoir compris toute la complexité du système éducatif népalais. Des écoles avec peu de moyens, des enseignants pas assez qualifiés (80% des enseignants au Népal ne sont pas assez compétents), des frais de scolarité très chers que ce soit dans le privé ou dans le public, un système éducatif peu intéressant et où les enfants se font souvent battre s'ils ne respectent pas les règles.
Cela donne clairement envie d'être un enfant au Népal hein, tu écoutes ce que te dit le professeur et tu répètes ce qu'il dit et ça toute la journée, puis si tu ne fais pas tes devoirs ou tu te trompes tu peux à tout moment te faire frapper. En France on a le soucis de la fessée, là je t'arrête tout de suite on est bien au dessus de ça puisque pour l'avoir vu de mes propres yeux dans l'école privée les enfants se prennent des droites et des coups plus que violents que ce soit les garçons ou les filles. J'ai moins vu ce phénomène dans les écoles publiques mais Santosh m'avait prévenu que cela s'était calmé car avec la mort d'une enfant en 2017 sous les coups d'un enseignant le gouvernement est très attentif pour que ce type d'évènement ne se reproduisent plus du moins dans les écoles qu'ils contrôlent : seulement les écoles publiques donc.
Sauf qu'en fait je n'avais encore rien vu. Car au delà du système en soi j'avais cru comprendre l'esprit des enfants : des jeunes qui essayent de réussir au mieux leurs études car cela coûte très cher et les parents comptent énormément sur leur réussite pour le bien-être futur de la famille donc ils les pressent au maximum pour bosser. Sauf que là ce n'est clairement pas ça. Les enfants ont énormément de problèmes face à eux puisque déjà la mission première est de juste survivre. Quand des enfants n'ont pas forcément de parents, n'ont pas forcément de toit sur la tête quand ils rentrent chez eux, qu'ils n'ont pas assez d'argent pour payer le repas du midi, que pour rejoindre l'école il faut entre 30min à 2 heures de marche dans la jungle avec des serpents et des tigres et bien ce n'est pas facile au quotidien. Comment demander à des enfants d'aller à l'école quand ils sont fatigués de leur trajet, qu'ils n'ont rien ou que des petits gâteaux comme nourriture le midi, qu'ils prennent le risque de se faire frapper par les professeurs et que leurs castes font partie des plus faibles et que leur place dans la société n'est donc pas très importante. Et pour couronner le tout, les parents étant pauvres et pas/peu éduqués ne voient pas d'intérêt à ce que les enfants aillent à l'école car s'ils ne travaillent pas dans les champs ils sont inutiles pour eux. Constat cruel et froid mais c'est une réalité et il faut totalement se battre pour que cela change.
D'où l'intérêt de ma venue dans l'école et le fait que je vais leur faire pratiquer de l'art, de la danse, de la musique, du sport et des activités ludiques tout en leur donnant plein de matériels. Je leur ai appris différents jeux pour qu'une fois parti ils puissent continuer à jouer. Si les enfants prennent du plaisir en jouant seul ou avec d'autres enfants à l'école alors ils voudront y retourner tous les jours et notre objectif sera atteint. Le but est qu'ils comprennent l'intérêt d'aller à l'école et non de rester chez eux. Au delà du simple amusement toutes ces activités développent leurs capacités intellectuelles ou physiques et c'est extrêmement bénéfique quand on voit que le système éducatif népalais n'offre que de travailler sa mémoire à l'école. L'intelligence, des compétences dans divers domaines, le gouvernement s'en fout royalement, seule la mémoire compte.
Mais qu’on se mette d’accord tout de suite. Ces enfants ont plus de problèmes dans la vie que beaucoup d’entre nous. Ils n’ont pas la chance d’être né dans un pays riche. Ils n’ont que peu de libertés individuelles ou collectives. Ils risquent leur vie tous les jours en allant à l’école, surtout pendant la mousson. Mais ils sont dignes, brave et ce sont des enfants qui se battent tous les jours. Mais ce sont avant tout des enfants et ils puent la joie. Ils puent tellement la joie que tu vas te sentir mal à l’aise avec les photos et vidéos qui vont suivre car tu vas te demander comment tu peux être moins heureux qu’eux. Je ne m’explique pas comment ils peuvent être si heureux mais ce qui compte c’est qu’ils le soient et je peux te dire que leur joie de vivre est sacrément contagieuse.




Je suis resté deux semaines et demi dans cette école et, comment dire, ce fût à la fois magique et tragique.
Voir des gosses boire de l'eau souillée, qui moi même m'a rendu totalement malade, tout en allant s'amuser avec les affaires que je leur ai acheté car ce ne sont que des enfants. Incroyable de les voir s'éclater comme de vrais enfants, désemparant de les voir boire de l'eau impropre.
Quel était mon quotidien ? Et bien c'est de voir des enfants n'ayant que des nouilles instantanées à manger, qui les mangent crues car ils n'ont rien pour les faire chauffer puis finalement les voir les donner à un chien au bord de la mort, de par une famine plus qu'apparente :
"Pourquoi donnes-tu ta nourriture tu n'as même pas de quoi te nourrir tous les jours ?"
"Oui mais le chien va mourir si je ne lui donne rien."
"Mais toi tu n'as rien à manger non plus."
"Oui mais lui va plus mal que moi donc autant que je l'aide"
Ma conversation avec Santosh Chepang, 10 ans, sans parents, élevé par sa grand-mère de 79 ans recevant 14 euros "de retraite" par mois par le gouvernement népalais. Bienvenue dans ce monde de fou, là où un gosse n'ayant rien, ne sachant pas où sont passés ces parents, disparus depuis des années mais peut-être tout simplement décédés, te montre toute la beauté de l'âme humaine. Oh oui ce petit gosse a plus de coeur que bien des gens. Il n'a rien mais pourtant il a tout, il n'a pas d'argent, pas de maison, pas de quoi manger tous les jours, mais il a un coeur, un coeur si grand qu'il m'a fait clairement pleurer par sa bonté.

Voir des gosses te prendre dans les bras et te serrer de toutes leurs petites forces car ils t'aiment de tout leur jeune coeur. Mais dans le même temps voir la tête de ces petits anges que sont par exemple Monika, Sandesh, Sunika, Poonam porter des uniformes sales et déchirés sur eux est désolant. Mais comment peut-on laver leurs uniformes quand c'est déjà compliqué d'en avoir rien qu'un et que c'est la mousson et si on le lave il n'aura jamais le temps d'être propre pour le lendemain.
Voir des professeurs se faire un petit repas, se régaler et voir des gosses ne pas forcément avoir à manger pour la journée ou alors n'avoir qu'un petit paquet de cookies ou de nouilles instantanées. Se voir manger le même repas que les professeurs tout en voyant les enfants me regarder avec des yeux d'amour pour que je finisse vite mon repas et venir jouer avec eux..
"Mais j'ai pas faim pu**n, me forcez pas à manger, ces gosses en pleine croissance ne mangent rien le midi et moi on me fait un petit plat comme si de rien était.. Mais vous voyez pas qu'ils ont la dalle ces gosses.." Voilà ce que je me disais tous les jours à l'école. Mais qu'est-ce que je pouvais faire.. beaucoup de choses peut-être mais en attendant je n'ai rien pu faire, l'école est sous le contrôle du gouvernement et donc les professeurs font un peu ce qu'ils veulent.
"Ah regarde il a fait une mission humanitaire il est incroyable il a un si grand coeur.. Blablabla". Non il n'y a pas que des belles choses, j'aurais pu/dû faire plus de choses pour eux mais ainsi est la vie. Donc pars, va aider les gens que ce soit en France, au Népal ou ailleurs car tout seul on ne peut pas faire grand chose, mais si tout le monde s'y met on donnera une chance de réussir à tous les gosses de ce monde. On se plaint de notre système, de notre façon de penser et d'agir mais on peut changer tout ça, en étant acteur de nos vies. Je suis juste un étudiant de 21 ans alors tu peux tout à fait faire quelque chose de magnifique en aidant les gens d'ici et d'ailleurs.
Les enfants sont le reflet de l'innocence, de ce qu'il y a de plus beau chez l'être humain. Ils n'ont qu'une envie c'est de jouer, s'amuser, partager des moments de bonheur, être heureux.. Ils veulent vivre en fait.
Comment ne pas réfléchir sur sa vie quand on voit ces amours, ces gosses qui n'ont rien et qui pourtant m'ont tout donné. Ils ne parlent pas anglais, je ne parle pas népalais et pourtant ces enfants m'ont accepté comme un des leurs, et j'ai vu à travers eux qui j'étais. Un petit français insouciant qui a le besoin viscéral de se sentir vivant.
A défaut d'avoir réussi à changer vos vies, vous avez changé la mienne et je vous en serai éternellement reconnaissant car de vos 5 à 14 ans vous m'avez fait voir ce qu'il y a de plus important dans ce monde : peu importe ta condition, qui tu es, ce que tu fais, n'oublie pas de vivre, de vivre pleinement cette putin de vie qui ne nous fait pas de cadeau.. Mais vraiment aucun cadeau.. A moins que l'on ne soit acteur de sa propre vie et que l'on vienne chercher les cadeaux de la vie. Enfants du Népal qui m'a été donné de rencontrer je vous remercie car vous êtes les plus beaux cadeaux de ma vie.
Ce petit paragraphe est pour ces enfants népalais, qui m'ont donné plus que de raison, qui m'ont aimé, qui m'ont montré ce que c'était la vraie vie.. Je reviendrais vous voir rapidement je vous le promet.
Derniers jours de mission dans cette petite école dans les montagnes
Avant de venir une dernière fois à l'école, Santosh, Nabaraj (mon voisin) et moi sommes allés à Pokhara. Deuxième ville du pays, haut lieu du tourisme international de par sa proximité avec les montagnes de l'Annapurna qui permettent de faire de magnifiques trek, Pokhara est une bien jolie ville mais alors même en pleine mousson on voit que cette ville est touristique et ce n'est clairement pas le vrai Népal. Mais qu'importe on a pris le temps d'aller là-bas pour se vider la tête après cette mission, prendre un peu de recul, redevenir un petit touriste et puis prendre le temps de découvrir une autre partie du Népal. M'échapper un court moment du village fut bénéfique car cela m'a permis de m'évader un peu et prendre de la hauteur sur ce que je venais de vivre.





Ce fut si court que 2 jours après être parti je participais à un festival très important pour la caste de la famille de Santosh et ce fut incroyable de vivre cela car de faire partie de leur culture. Ils m'ont mis autour du poignet un bracelet sacré qui est le symbole de leur caste et j'étais juste au paradis car je n'ai pas de caste je suis français mais ils ne se préoccupent pas de cela car maintenant je fais partie de leur famille et de leur culture.. A l'heure où j'écris ces lignes j'ai toujours ce bracelet autour de mon poignet et j'espère bien qu'il tiendra pendant encore de nombreux mois car je ne veux pas perdre ce magnifique bracelet népalais.
Puis vint le jour j, le jour de l'au revoir à ces gosses d'une beauté divine, d'une gentillesse incroyable et d'une simplicité émouvante.. Difficile de mettre des mots sur ce dernier jour.. Démarrons par le côté négatif ou malheureusement il n'y avait pas tous les enfants de par une mousson peu clémente ce jour là et qui a empêché plusieurs enfants de venir à l'école. Peut-être que le ciel était aussi triste que moi de partir après tout ça pourrait expliquer la violence de la pluie qui est tombée. Mais il y a quand même eu un bon nombre d'enfants qui ont réussis à venir et comme tout le temps au Népal, une petite cérémonie était prévue, avec le Tika (point rouge sur le front), le Mala (l'écharpe) et le collier de fleur. Le principal m'a même demandé de mettre le Tika sur tous les fronts des enfants.. J'avais envie de pleurer du début à la fin de la cérémonie, au moment du Tika, de leur hymne national, des câlins des enfants, des photos souvenirs, des derniers Namaste échangés avec eux mais je me suis retenu jusqu'à ce que je sorte de l'école..

De leur avoir fait un dernier coucou m'a fait laché prise je comprenais qu'il n'y aurait pas de retour en arrière.. Et puis j'entends crier "Terry" au loin, et là comme dans un film tous les gosses sont sortis de l'école en courant et venus me rejoindre sur le chemin, je sèche vite mes larmes et c'est reparti pour des câlins avec eux.. Impossible de retranscrire ce que j'ai vécu en termes émotionnels c'était bien trop fort et indescriptible mais une chose est sûr, je souhaite à tout le monde de se sentir aimé comme ça au moins une fois dans sa vie car c'est tellement bon, encore plus quand c'est des dizaines de petits népalais qui procurent cette sensation d'amour.
Santosh, malin comme il est, m'a pris en vidéo sur le retour pour que j'explique mon ressenti sur ce dernier jour d'école. Cette vidéo est un sketch car mon anglais est balbutiant, ma voix tremblotte, je ne sais où regarder car je cherche mes mots et à retenir ces larmes qui ne voulaient que sortir. Mais j'explique rapidement ce que je ressentais et pensais et même si ce n'est pas fou, je remercie Santosh de cette vidéo car elle me rappelle dans quel stress émotionnel je me situais à ce moment là.